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Somalie : le meurtre d’une orpheline relance le débat sur les violences infantiles

Somalie : le meurtre d’une orpheline relance le débat sur les violences infantiles
Des enfants qui ont fui avec sa famille en raison d'une sécheresse, dans un camp à la périphérie de Mogadiscio, en Somalie, le jeudi 28 septembre 2023.   -  
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AP Photo

Somalie

Le meurtre de Saabirin Saylaan, une adolescente orpheline de 14 ans tuée en novembre dernier, a profondément choqué la Somalie et ravivé le débat sur les violences subies par les enfants, souvent passées sous silence dans le pays.

Une femme de 34 ans, Hodan Mohamud Diiriye, chez qui l’adolescente vivait, a été reconnue coupable de meurtre et attend actuellement l’exécution de sa peine. Elle a nié les faits et son avocat a fait appel. Son mari, Abdiaziz Nor, 65 ans, a été acquitté du meurtre mais condamné à un an de prison et à une amende de 500 dollars pour négligence.

Une enfance marquée par l’abandon et la violence

Saabirin avait perdu ses deux parents avant l’âge d’un an. Privée également de ses deux grands-mères, elle avait été prise en charge par une tante de sa mère, qui veillait à sa scolarité et à son éducation religieuse.

En septembre, sa vie bascule lorsqu’il est décidé qu’elle rejoigne la famille de Hodan Mohamud Diiriye, qui cherchait une aide domestique. Selon l’enquête de police, durant les deux mois passés dans ce foyer, Saabirin a subi des violences physiques répétées : coups, tortures et mauvais traitements.

Des vidéos et enregistrements audio retrouvés sur le téléphone de l’accusée — dont certains ont fuité sur les réseaux sociaux — documentent ces abus. Dans l’un d’eux, Diiriye déclare : « J’apprécie ta souffrance ». L’autopsie a révélé de multiples blessures et des coups de couteau profonds, signes de violences prolongées.

La révélation des faits a provoqué une vague d’indignation. À Galkayo, dans la région semi-autonome du Puntland, des centaines de femmes et de jeunes ont manifesté en brandissant des pancartes « Justice pour Saabirin ». Les protestataires se sont rassemblés devant l’hôpital où reposait le corps de l’adolescente.

Lors d’une manifestation, des affrontements ont éclaté avec la police et un jeune homme a été tué par balle, dans des circonstances encore floues. Sur les réseaux sociaux, de jeunes femmes et filles ont lancé des campagnes de solidarité, exigeant justice et rejetant toute tentative de règlement du dossier par des mécanismes traditionnels claniques, souvent critiqués pour privilégier la paix sociale au détriment des droits des victimes.

Un système de protection des enfants défaillant

Pour de nombreux Somaliens, la mort de Saabirin symbolise l’échec du système de protection de l’enfance. Les abus commis au sein des familles élargies sont fréquemment considérés comme des affaires privées, dans lesquelles l’État n’intervient pas.

« Les enfants continuent de subir des violences à l’intérieur des foyers, et seuls les cas les plus extrêmes arrivent jusqu’à la police », explique Najeb Wehelie, directeur de l’organisation de défense des droits de l’enfant Dhoodaan.

Selon Save the Children, plusieurs crimes graves contre des enfants ont été signalés en octobre et novembre, dont le meurtre de quatre enfants dans un incendie criminel à Hargeisa et le viol d’une fillette de 11 ans au Puntland.

Le 1er octobre, le Parlement somalien a ratifié la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, censée renforcer la lutte contre les abus, la négligence et l’exploitation des mineurs. Mais quelques jours plus tard, le ministère de la Famille a précisé que son application serait encadrée par la charia et la Constitution, excluant certaines dispositions jugées contraires aux traditions religieuses, notamment l’interdiction du mariage avant 18 ans.

Pour les défenseurs des droits humains, le problème reste surtout l’application des lois existantes. Manque de moyens de la police, faiblesse des services sociaux et interférences des chefs claniques entravent souvent les procédures judiciaires.

Un tournant fragile

Les autorités du Puntland estiment toutefois que des efforts sont en cours pour protéger les enfants vulnérables. Elles reconnaissent néanmoins que des progrès sont nécessaires pour encourager les signalements et garantir que les enfants en danger puissent être retirés de foyers violents.

Si la condamnation de la meurtrière de Saabirin est perçue comme un pas important, beaucoup restent sceptiques.

« Il n’y a encore rien à célébrer », a écrit un jeune manifestant, Abdikadir Ali. « Nous ne voulons pas d’une justice en paroles, mais d’une justice visible, sans retard. »

La mort tragique de Saabirin Saylaan a ouvert un débat longtemps étouffé en Somalie. Reste à savoir si cette prise de conscience débouchera sur une protection réelle et durable des enfants.

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